Depuis des années, la Berlinale est connue, on pourrait même dire tristement célèbre, pour avoir décerné l'Ours d'or à des films aussi décalés que possible. Le dernier lauréat à avoir trouvé le chemin du cinéma était en 2017 "Corps et âme" d'Ildikó Enyedi. Depuis, on a l'impression que ce sont surtout des critères idéologiques qui ont présidé à l'attribution des prix à la Berlinale.
Maintenant, c'est donc "Dahomey", généralement qualifié de "documentaire sur l'art spolié" dans les communiqués de presse. La réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, dont le premier long métrage "Atlantique" a reçu le Grand Prix du Jury à Cannes il y a cinq ans, documente le rapatriement de statues en bois volées à l'ancien royaume du Dahomey et introduites en France par le pouvoir colonial français à la fin du XIXe siècle. En 2021, 26 objets du musée parisien du quai Branly ont été restitués au Bénin, un pays d'Afrique de l'Ouest. Nous voyons le président Patrice Talon recevoir les œuvres d'art lors d'une cérémonie en grande pompe. Que Talon soit l'un des hommes les plus riches d'Afrique subsaharienne grâce à la corruption et qu'il fasse disparaître l'opposition en prison, tout cela n'intéresse pas Mati Diop.
Pour son documentaire, une durée de 30 minutes aurait facilement suffi, mais Diop parvient à étendre le film à 67 minutes et à le rendre surréaliste. A peine les statues sont-elles rangées dans des caisses en bois que la statue numéro 26 entame, avec une voix de monstre altérée, un monologue sur le temps passé au musée parisien et le retour en Afrique. C'est l'écrivain haïtien Makenzy Orcel qui est l'auteur et le narrateur de ces textes fantômes à la tonalité involontairement comique par moments.
"Dahomey" a rencontré un écho mitigé à Berlin. Alors que certains ont souligné sa qualité poétique et sa pertinence dans le débat actuel sur l'art spolié, d'autres ont trouvé le film trop long et peu original. Aujourd'hui, un plaidoyer pour la restitution de l'art spolié enfonce des portes ouvertes et peut être assuré d'être applaudi. Mais faut-il pour cela un Ours d'or ? On peut donc supposer que, comme l'année dernière avec le documentaire de Nicolas Philibert "Sur l'Adamant", c'est moins la qualité cinématographique que la pertinence du sujet qui a été récompensée.
Le prix d'interprétation décerné à Sebastian Stan dans "A Different Man" laisse supposer des motivations similaires. La transformation d'un homme physiquement défiguré, souffrant de neurofibromatose, en un séduisant tombeur de femmes n'a pas nécessité une grande performance d'acteur. Ou bien s'agissait-il ici de rendre hommage au thème du 'handicap au cinéma' ? Cillian Murphy aurait été un candidat plus approprié pour son rôle dans "Small Things Like These". Le fait qu'Emily Watson ait reçu le prix de la meilleure actrice dans un second rôle dans le même film pour sa prestation de 5 minutes dans le rôle de l'implacable mère supérieure s'inscrit dans la logique absurde de cette attribution de prix. Un peu comme pour "Pepe", l'hippopotame parlant, dont nous pouvons suivre le parcours du sud-ouest de l'Afrique jusqu'en Amérique du Sud pendant plus de deux heures. La raison pour laquelle le prix de la mise en scène a été attribué à ce film de Nelson Carlos De Los Santos Arias, qui ressemble à un collage d'images, reste un mystère.
Il est également mystérieux qu'un grand film comme le drame de la résistance d'Andreas Dresen "In Liebe, Eure Hilde" (Bien cordialement, Votre Hilde) soit reparti bredouille lors de la remise des prix. Un prix d'interprétation pour Liv Lisa Fries (impossible, car le règlement de la Berlinale ne prévoit plus qu'un prix unisexe pour les acteurs) ou un prix du meilleur scénario pour Laila Stieler auraient au moins été appropriés. On peut comprendre que Matthias Glasner ait reçu le prix du scénario pour son drame familial impitoyable "Sterben", même si le film, d'une durée de trois heures, met quelque peu à l'épreuve la patience des spectateurs.
Deux prix ont été décernés à la contribution iranienne "Keyke mahboobe man" (My Favourite Cake) de Maryam Moghaddam & Behtash Sanaeeha. L'histoire tragi-comique d'une veuve qui part à la recherche d'un homme à Téhéran et qui connaît l'amour un court instant plus tard a été la préférée des critiques et a été récompensée à la fois par le jury œcuménique et par la critique internationale de cinéma (FIPRESCI).
Un coup d'éclat a eu lieu lors de la remise des prix lorsque le réalisateur anglais Ben Russell, récompensé pour le documentaire "Direct Action", est monté sur scène avec un keffieh (un foulard palestinien), a parlé de "génocide" à Gaza et a appelé à la solidarité avec les Palestiniens. Outre le prix du public dans la série Panorama, le film palestinien "No Other Land" a également remporté le prix principal du meilleur documentaire. Dans son discours de remerciement, le cinéaste Basel Adra a évoqué ses sentiments ambivalents : "Il m'est difficile de célébrer alors que des dizaines de milliers de personnes de mon peuple sont actuellement tuées à Gaza". Son coréalisateur israélien Yuval Abraham s'est exprimé en ces termes : "Basel et moi avons le même âge. Je suis israélien, Basel est palestinien... Je vis sous la justice civile, Basel sous la justice militaire. Nous vivons à 30 minutes l'un de l'autre, j'ai le droit de voter, Basel n'en a pas le droit. Je peux me déplacer librement dans mon pays. Basel, comme des millions de Palestiniens, est enfermée sous l'occupation en Cisjordanie. Cette situation d'apartheid entre nous, cette inégalité, doit prendre fin". Le public présent dans la salle a réagi par des applaudissements nourris.
Exactement un jour plus tard, une tempête médiatique s'est déchaînée, déclenchée par un reportage de la chaîne israélienne Kan, qui a parlé d'un "discours antisémite" d'Abraham. Le prestigieux quotidien israélien Ha'aretz écrit à ce sujet : "Ce Framing (étiquetage) par Kan correspond à l'atmosphère de musellement, d'autocensure et de persécution de tous ceux qui osent critiquer le régime israélien. Plus précisément, les Israéliens qui s'opposent à l'occupation (...) Qu'y a-t-il de si effrayant dans les paroles d'Abraham ? En moins d'une minute, il a décrit une situation que la plupart des Israéliens nient, ou pire, dont ils ne sont pas du tout conscients".
Comme sur un coup de tête, la cérémonie de remise des prix et l'ensemble de la Berlinale ont soudain été vilipendés comme antisémites. L'ambassadeur israélien Ron Prosor a parlé de "propos antisémites et anti-israéliens", le Conseil central des juifs a exigé des conséquences pour la promotion de la culture. La ministre de la culture Claudia Roth a parlé de "haine d'Israël" et a annoncé l'ouverture d'une enquête, tandis que la direction du festival s'est distanciée par écrit des propos tenus par les lauréats.
Face à l'indignation des médias, la question du bilan artistique de cette Berlinale est passée totalement au second plan. Le directeur artistique Carlo Chatrian avait tout de même réussi à attirer Martin Scorsese à Berlin, où un ours d'honneur lui a été remis. Pour le reste, une compétition encore plus faible que les années précédentes, des décisions de prix impuissantes et des délimitations floues entre les différentes sections du festival. L'année prochaine, il n'y aura plus de duo de direction et l'Américaine Tricia Tuttle prendra seule la direction de la Berlinale. On attend avec curiosité.