Ouvert au monde du cinéma d’ailleurs

Rapport de festival de Fribourg 2017. Par Françoise Lods
Deepak Rauniyar et Asha Magrati

Le cinéaste népalais Deepak Rauniyar a obtenu quatre prix, pour la plus grande joie de son épouse et actrice Asha Magrati (Foto: © La Liberté)


La 31e édition 2017 du Festival International de Films de Fribourg (FIFF), comme les précédentes éditions, avait pour vocation de s’ouvrir au monde du cinéma d’ailleurs, très loin de nos circuits européens. C’est le Népal qui était l’invité de la section Nouveau Territoire avec une vingtaine de films, longs et courts métrages, réalisés par des Népalais.

Nous avons eu la chance, au cours des 12 films présents dans la Compétition officielle, de voyager de Singapour en Russie, du Bhoutan en Argentine, du Kenya au Mexique, du Liban en Malaisie, sans oublier le Laos, la Corée du sud, l’Inde et bien sûr le Népal.

 

Quatre Prix pour White Sun

C’est justement un film népalais que le Jury Oecuménique a choisi d’honorer en lui décernant son Prix: White Sun du jeune réalisateur Deepak Rauniyar. Le film sera cité encore trois fois au palmarès: il reçoit le prix du Public, le Don Quijote Award de la Fédération Internationale des Ciné-clubs, ainsi qu’une Mention spéciale du Jury International. L’émotion sur le visage de Deepak Rauniyar recevant ses prix aura été l’un des plus beaux moments du festival.

Le film s’ouvre par une scène insolite et pleine d’humour: les hommes d’un village perdu dans les montagnes népalaises s’efforcent de sortir le corps du défunt chef de village par la fenêtre de sa maison, comme le veut la tradition hindoue. Et ce corps, qu’il faut transporter sur un brancard de bois tout au long d’un chemin escarpé conduisant à la rivière où il doit être incinéré, se révèle incroyablement lourd: aussi lourd que le vieux Népal, sa monarchie absolue, ses castes et ses lois religieuses qui, depuis des siècles, écartent les femmes de la vie publique. En effet, nous sommes en 2015, une nouvelle Constitution va enfin être proclamée après 10 ans de guerre civile et 10 autres années de gouvernement provisoire. L’Armée Populaire Népalaise, maoïste, a fini par abattre la monarchie absolue au prix d’un conflit meurtrier au cours duquel les villageois se sont retrouvés tour à tour victimes de la cruauté des patrouilles gouvernementales et de celle des guerrilleros maoïstes.

Le film met en scène deux frères ennemis, les fils du vieil homme décédé. L’un, Chandra, a combattu avec les maoïstes, l’autre, Suraj, médecin, a soigné les blessés et est resté fidèle à la monarchie. Une troisième génération, celle des enfants, la fillette Pooja, et Badri le petit porteur orphelin, va incarner la reconstruction du pays meurtri. Ce sont les enfants qui, en fin de compte, feront briller le soleil blanc de l’avenir, de la réconciliation et de l’espoir, ce soleil blanc à 12 rayons qui figure sur le drapeau népalais.


Il est de notre responsabilité de soutenir le jeune cinéma népalais qui ne peut compter sur aucun soutien à la production dans un pays où ne sortent que des films de Bollywood et de Hollywood. Le premier long-métrage de Deepak Rauniyar, Highway en 2012 a été présenté à la Berlinale, c’est la première fois qu’un film népalais était montré dans un grand festival international. Au festival de Venise en 2016, White Sun décroche le Prix du Jury INTERFILM.

 

Les différents jurys ont consacré les cinéastes d’Asie du Sud

Je voudrais signaler un film remarquable, Apprentice, d’un jeune cinéaste singapourien de 33 ans, Boo Junfeng. Il a décroché le Grand Prix du FIFF, ainsi que le Critics’Choice Award. Le réalisateur met en scène Aiman, un jeune gardien dans un centre pénitentiaire de haute sécurité à Singapour. Il se fait remarquer pour son sérieux par un fonctionnaire plus âgé, sur le point de prendre sa retraite. Or il se trouve que celui-ci est le bourreau de la prison et qu’il se cherche un successeur. Il choisit le jeune homme comme « apprenti » et va l’initier aux secrets d’une bonne pendaison : aussi rapide et indolore que possible. Nous comprenons peu à peu qu’un lourd secret pèse sur les épaules d’Aiman et fonde l’ambiguïté insondable de l’apprenti bourreau. On ne peut qu’apprécier la pudeur de Boo Jufeng dans à sa façon d’aborder un sujet aussi sensible que la mise à mort des condamnés, (fréquemment pour trafic de drogue). Ce film ne se veut pas un plaidoyer contre la peine de mort, mais une approche extrêmement subtile de la violence que représente cet acte, non seulement pour le condamné, mais aussi pour celui qui prépare et déclenche la mort d’un homme. Le jeu de l’acteur, Fir Rahman, est impressionnant de vérité, de dureté et d’émotion. On ne peut que saluer les qualités de mise en scène de Boo Jufeng : la caméra se pose toujours au bon endroit et traduit parfaitement, par les longs plan-séquences, la lumière verdâtre et la succession de lieux clos, la gravité de ce drame humain qu’est la mise à mort d’un homme.

 

Un film russe, qui anime la discussion

Un troisième film a retenu notre attention, tant par le thème qu’il aborde que pour ses qualités cinématographiques: The Student (en français le film s’intitule le Disciple) un film russe de Kirill Serebrennikow (2016).

Il ne s’agit de rien moins que de fanatisme religieux, non pas le fanatisme islamique qui fait la une de nos quotidiens, mais un fanatisme russe et orthodoxe! Le film s’inspire de la pièce de théâtre récente d’un auteur allemand, Marius von Mayenburg: Le Martyr (2012)

L’étudiant en question, Venia, 17 ans, est en proie à une folie religieuse qui va l’amener à se confronter violemment à sa mère, à ses camarades de lycée, à ses professeurs, et le conduira à commettre un crime. A travers les divagations mystiques du jeune garçon, le film de Serebrennikov nous fait voir un monde, le nôtre, porteur d’une menace folle, face à l’incapacité encore plus inquiétante de la société à lui répondre: personne n’y voit rien… Sa mère, les autres professeurs, la directrice du lycée, le pope, tous préfèrent ne voir dans la folie de Venia que la crise passagère d’un adolescent. Leur indulgence semble participer du même égarement, du même aveuglement: on est face à un déni collectif.


Seule Elena, la professeure de biologie de Venia, va s’opposer de toutes ses forces et de toute son intelligence, au fanatisme de ce jeune «fou de dieu». Comme d’autres fanatiques, Venia hurle ses convictions: non aux filles, non au bikini, non aux cours d’éducation sexuelle, non à la science, non à la théorie de l’évolution, non aux juifs. Il ne jure que par les Ecritures, il s’exprime à coup de versets débités par cœur: citations de la Bible réduite à un fourre-tout d’imprécations condamnant à la géhenne tout «infidèle». La preuve qu’à la Bible, (comme à d’autres livres saints) on peut faire dire tout et son contraire… Venia se prend pour un saint, ceux que Lacan nommait des «sinthômes» !

Il se croit investi d’une mission, il a des convictions intraitables qu’il finit par imposer à Grigoriy, son fragile camarade de classe en mal d’amitié: celui-ci sera la victime expiatoire de la folie mystique de Venia, un délire que la société n’a pas su empêcher. Est-il nécessaire d’ajouter que ce film n’a rien de réaliste, rien d’un documentaire? Mais qu’il s’agit bien d’une fiction, d’une sorte de fable, d’autant plus inquiétante qu’elle est en parfaite résonnance avec l’actualité d’aujourd’hui. A mentionner, que ce film a été découvert par la sélection Un certain Regard à Cannes 2016 où il a remporté le Prix François Chalais.