Une nouvelle directrice propose quelques nouveautés

Observations et réflexions au 58e Festival international de film documentaire et d’animation de Leipzig par Blandine Salles, membre du jury œcuménique
Brothers

Brothers (Bracia), © DOK Leipzig


Du 26 Octobre au 1er Novembre a eu lieu la 58e édition de ce festival qui accueillait une nouvelle directrice : Leena Pasanen. La nouveauté de cette édition est l’absence de distinction entre les films d’animations et les films documentaires : les deux styles figurent désormais dans une seule et même compétition. Leena Pasanen a également rappelé lors de son discours d’ouverture l’importance de la paix, de la tolérance, de la dignité humaine, valeurs portées par le festival « sans doute plus nécessaire aujourd’hui que jamais ».  Elle a également rappelé que « les documentaires sont la meilleure arme que nous ayons pour lutter contre l’ignorance ». Ainsi, l’importance de la tolérance et de l’ouverture aux autres a été soulignée cette année par l’intégration de deux membres, de confession juive et musulmane, au jury œcuménique. Pour cette édition, le jury a remis son prix au film Brothers de Wojciech Staron.    

© Susann Jehnichen


L’ouverture aux autres était le fil conducteur de la compétition officielle de cette année. L’acceptation de l’autre tel qu’il est, malgré ses défauts, ses lacunes, ses déficiences, et la protection de son prochain sont les thèmes majeurs de cette édition. Ainsi, Magg-i, dans With or without you, a une attitude bienveillante envers Chun-hee, la deuxième femme de son défunt mari, l’amenant à acquérir une indépendance, et ce, malgré le comportement enfantin (et difficilement supportable) de celle-ci. La tendresse qui relie les deux frères polonais de Brothers est tout aussi touchante, si proche et pourtant si différents, éloignés tant au niveau des centres d’intérêts que du mode de vie. The Longest Run et Lampedusa in Winter, traitent du houleux sujet de l’immigration clandestine. Ils mettent en avant des vies concrètes, pleines d’espoir en l’Europe, et qui se heurtent à des remparts, des frontières, malgré le soutien – inégal - d’autochtones accueillants. Comment protéger ceux à qui l’ont tient le plus, ceux dont nous avons la charge ? Chacun sa manière de vivre : enfermé, loin de tout contact avec le monde extérieur pour la famille Angulo dans The Wolfpack ; en se conformant à la société, si autoritaire et liberticide soit elle en Corée du Nord, dans le lumineux et pourtant glaçant Under the sun ; en écoutant, en étant un repère sur lequel s’appuyer pour les docteurs et psychologues de Like the others confrontés à la douloureuse limite entre le secret professionnel, les soupçons et la dénonciation à la police, l’enquête.

Protéger sa famille, préoccupation principale des paramilitaires de The other side, dont le 2e amendement et leur pistolet sont pour eux la protection la plus efficace contre les dangers. Il est pourtant des dangers plus graves aux yeux de certains : le chômage, les difficultés financières, la perte d’identité dans une Allemagne à peine réunifiée sont les principaux thèmes d’exploration du réalisateur Andres Voigt dans le 6e volet de son film Time will tell qui a ouvert le festival cette année. Enfin, la protection de la démocratie comme idéal politique et sociétal est mise à l’honneur. Le peuple soviétique manifeste pacifiquement dans The Event, retraçant le coup d’état d’août 91 tandis que Jacques Jaujard, directeur du Louvre sous l’occupation allemande, essaie de sauver l’art français dans Francofonia, tout en s’engageant dans la résistante, l’art étant la meilleure façon de préserver une culture malgré la domination du nazisme. Enfin, si les choix de vie d’Adam Jacek Winkler sont discutables – abandonner femme et fille pour aller combattre contre l’armée russe aux côtés des afghans -, on ne peut lui reprocher son manque de conviction politique, et l’ardeur avec laquelle il met en adéquation son combat politique et son combat sur le terrain, pour protéger un peuple opprimé, dans le magnifique documentaire animé The Magic Moutain.

© Anca Damian/Aparte Film


La diversité de cette compétition permet une richesse cinématographique et ouvre plusieurs pistes de réflexions : si les individus filmés sont mus par une volonté de protection et d’entraide de leurs prochains, qu’en est-il un documentariste ? A-t-il obligation de respect et de protection des personnes qu’il filme ? Le rôle qu’il a à jouer (sans jeu de mot), se cantonne-t-il à filmer le réel pour le montrer au monde, et dans ce cas doit-il tout montrer à l’écran, sans aucune pudeur, ou l’intérêt de son art réside-t-il dans sa capacité à porter sa vision du sujet et du monde à l’écran à travers les histoires, les vies filmées ?