Depuis que la plus ancienne université d'Europe a été fondée à Bologne à la fin du XIe siècle, la capitale de l'Emilie-Romagne est restée l'un des centres intellectuels et artistiques de l'Italie avec près de 100.000 étudiants.
La Cineteca di Bologna, célèbre au niveau international pour sa restauration professionnelle de films classiques, constitue un noyau de cristallisation culturelle particulier de la ville. Le festival "Il Cinema Ritrovato" a été créé il y a 37 ans dans le cadre de la Cineteca. Il est né de la question suivante : à quoi servent les plus beaux classiques si on ne peut pas les voir ? Au début, ce sont presque exclusivement des films muets qui y étaient projetés. Depuis, l'éventail s'est considérablement élargi et le programme de films s'étend aujourd'hui jusqu'aux années 1980. On pourrait dire que le festival a le charme d'un buffet gastronomique pour les amateurs de cinéma classique, par analogie avec la généreuse offre culinaire de la ville.
Cette année, l'accent a été mis sur la série de films de Marlene Dietrich, la seule star mondiale du cinéma allemand. Elle à être restée jusqu'à aujourd'hui une icône de la conscience de soi féminine à l'écran. Le film peu connu de la UFA "Die Frau, nach der man sich sehnt" (L'Énigme, réalisé par Kurt Bernhardt, qui fera plus tard carrière à Hollywood sous le nom de Curtis Bernhardt), datant de 1929, était également à l'affiche. C'est notamment grâce à ce film que Josef von Sternberg a découvert l'actrice blonde. Marlene Dietrich joue une 'femme fatale' qui fait facilement tourner la tête des hommes. A peine Henri Leblanc, le riche héritier de l'entreprise, l'a-t-il aperçue à la fenêtre du train qu'il est tombé désespérément amoureux d'elle. Blessée dans ses sentiments, sa fiancée dédaignée se retire dans le compartiment du wagon-lit et se jette sur l'oreiller en pleurant. Fritz Kortner, menacent avec son monocle, joue l'homme jaloux aux côtés de Marlene et son partenaire en crime. Réalisé peu avant "L'Ange bleu", le film n'a pas à rougir de la comparaison avec le célèbre classique et impressionne par son sarcasme non sentimental.
Aux États-Unis, les films avec Joseph von Sternberg comme "Morocco" (Coeurs brûlés), "Shanghai Express", "Blonde Venus" (Blonde Vénus") ont suivi et ont établi la renommée de Marlene en tant que célébrité hollywoodienne. Son apparition avec un chapeau et un costume noir dans "Morocco", a fait d'elle une légende dans le milieu lesbien-queer. Elle est fêtée dans la célèbre chanson de Suzanne Vega "Marlene on the Wall" de 1986.
Une place particulière dans la filmographie de Marlene Dietrich est occupée par "A Foreign Affair" (La Scandaleuse de Berlin) de Billy Wilder, tourné en partie en 1948 dans un Berlin ravagé par la guerre. Marlene y joue Erika von Schlütow, une chanteuse lascive au passé nazi qui se produit dans une boîte de nuit américano-russe au nom évocateur de Lorelei. Grâce à une liaison avec un officier américain, elle échappe avec succès à la dénazification, jusqu'à l'arrivée de Jean Arthur, une députée de l'Iowa aux mœurs très strictes, bien décidée à faire la lumière sur la moralité douteuse des troupes américaines. Mais à la longue, elle ne peut pas non plus résister aux tentations du marché noir et du champagne.
Au plus tard depuis son engagement dans l'encadrement des troupes américaines, Marlene était considérée en Allemagne comme une traîtresse à la patrie. Le regard sarcastique de Billy Wilder sur le Berlin de l'immédiat après-guerre, dans lequel ni les Allemands vaincus ni les vainqueurs américains n'ont particulièrement bonne mine, n'a pas du tout été apprécié en Allemagne à l'époque. Un juif polonais à Hollywood qui jette du sel sur les plaies de notre nation blessée ! Dégueulasse !
En tant que bonus track, une sélection de "Home Movies" de Marlene des années 1930 et 1940 a été projetée à Bologne, dans laquelle on la voit entre autres avec ses amants Erich Maria Remarque et Jean Gabin. Elle avait fait la connaissance de ce dernier à Paris avant la guerre. Après l'invasion allemande, ils se sont retrouvés à Los Angeles, où ils ne se sont pas seulement promenés à cheval ensemble. Ce fut une liaison passionnée et le grand amour de la vie de Marlene. Elle a pris fin lorsque Jean Gabin s'est engagé volontairement dans les troupes de de Gaulle, la France Libre, pour combattre les Allemands.
Un geste subtil de la régie du festival a fait que la version restaurée du célèbre classique de Gabin, "Pépé le Moko", était également au programme à Bologne. Le film de Julian Duvivier, datant de 1938, montre le jeune Gabin en un élégant gangster et womanizer dans la casbah d'Alger. La police ne parvient pas à l'attraper, car il lui échappe sans cesse dans le labyrinthe des rues et des toits. Jusqu'à ce que sa passion pour une femme et la jalousie d'une autre lui deviennent fatales.