Quand on voit des classiques du cinéma sur grand écran, on réalise que le cinéma est une machine à remonter le temps, un lieu de mémoire historique. Un média qui rend le passé visible à travers le regard subjectif des personnes qui ont participé au film, car le cinéma est toujours une forme d'art collective. Une restauration est avant tout un processus de restauration technique, mais elle peut aussi être un acte de réparation artistique. Un exemple éminent est le western "révisionniste" "Pat Garrett & Billy the Kid" (1973) de Sam Peckinpah, qui est sorti en salles dans une version mutilée par le studio Metro-Goldwyn-Mayer.
Le metteur en scène renommé Roger Spottiswoode, responsable du montage à l'époque, a présenté la version restaurée à Bologne, comme l'avait imaginé Peckinpah à l'origine. "Le studio voulait que Sam fasse un western dans le style de 'The Wild Bunch' avec beaucoup de fusillades au ralenti, au lieu de cela, ils ont obtenu un éloge élégiaque du vieux Far West", a déclaré Spottiswoode à la présentation à Bologne. James Coburn joue le rôle de Pat Garrett, un ancien hors-la-loi qui a changé de camp, est devenu shérif et poursuit désormais son vieil ami Billy. Les exploitants de bétail et les investisseurs veulent rentabiliser les terres de la frontière mexicaine, il n'y a plus de place pour un radical libre comme Billy the Kid.
Kris Kristofferson, surtout connu comme chanteur de country peu conventionnel, joue Billy avec une aura rebelle, un sourire candide, il a toujours une longueur d'avance sur ses poursuivants. C'est Kristofferson qui a fait appel à Bob Dylan (dans le rôle secondaire du lanceur de couteaux Alias), à qui l'on attribue également la musique du film. La ballade mélancolique "Knockin' on Heaven's Door" est devenue célèbre.
Dans "McCabe & Mrs Miller" (1971), Robert Altman s'attaque de manière tout aussi radicale aux mythes du western. Warren Beatty, qui a également participé à l'écriture du scénario, arrive à cheval dans une cité minière sordide sous les traits d'un mystérieux joueur de poker, accompagné par "The Stranger Song" de Leonard Cohen. McCabe est déterminé à développer l'endroit, achète pour 200 dollars trois prostituées dans la petite ville la plus proche et agrandit peu à peu son business. Ce faisant, son chapeau melon signale que nous n'avons pas affaire ici à un héros de western classique. Finalement, Julie Christie apparaît et devient son partenaire en affaires, déterminée à établir un bordel décent où les clients sont d'abord envoyés aux bains. Quand McCabe refuse de vendre à une société minière de la ville, il devient la victime de assassins payés. Il meurt seul dans la neige, tandis que les autres habitants sont occupés à éteindre l'église en feu. Dans le froid du nord-ouest américain, il pleut constamment et la plupart du temps, le lieu (tourné à Vancouver) s'enfonce dans la boue. Le caméraman Vilmos Zsigmond capte des images d'une désolation impressionnante, qui rappellent les films de sa Hongrie natale des années 50. Le progrès économique n'est pas ici un processus de civilisation, mais l'imposition violente d'intérêts commerciaux. Ce n'est pas comme ça que l'on se représentait le Far West dans les films hollywoodiens classiques.
La version restaurée de "The Conversation" (Le dialogue, 1974) de Francis Ford Coppola a été présentée en avant-première au cinéma en plein air de la Piazza Maggiore. Selon Coppola lui-même, il s'agit de l'un de ses meilleurs films : "C'est un film personnel, basé sur un scénario qui j'écrit moi-même. Il représente la direction que je voulais donner à ma carrière". Pour de nombreux critiques, "The Conversation" est considéré comme l'un des films clés des années 1970. Il a été nominé pour plusieurs Oscars et a remporté la Palme d'or et une mention du jury œcuménique au Festival de Cannes en 1974. Le film tire notamment sa résonance de l'actualité du scandale du Watergate.
Mais en regardant la version restaurée, c'est la déception qui domine. "The Conversation" n'est pas à la hauteur des attentes élevées et Coppola se révèle une fois de plus, comme récemment avec son œuvre de vieillesse "Megalopolis", être un réalisateur surestimé. Son collègue réalisateur William Friedkin et partenaire dans la société de production commune 'Directors' Company' le résume ainsi : "'The Conversation' était un plagiat confus de 'Blow-Up' d'Antonioni, dans lequel Francis remplaçait le photographe par un spécialiste des écoutes".
Gene Hackman joue le rôle d'Harry Caul, un spécialiste des écoutes téléphoniques qui pense être sur la piste d'un complot de meurtre et se retrouve dans un labyrinthe de fausses pistes. L'histoire offre un mélange confus de technologie d'écoute high-tech et de paranoïa individuelle, dans lequel Harry finit par être lui-même victime de la surveillance acoustique et se retrouve dans une suspicion délirante. Ce qui porte le film, c'est la forte présence de son acteur principal Gene Hackman, dont nous suivons la perspective en qualité de spectateur. La séquence centrale des écoutes est répétée ad infinitum, les angoisses de Harry s'expriment dans une séquence de rêve brumeux. On ne peut parler ni de rigueur narrative ni de densité dramatique.
En revanche, le classique de Brian de Palma "Body Double" , sorti en 1984 et habituellement décrit comme un thriller néo-noir érotique, est d'une fraîcheur surprenante. Lors de sa sortie, le film a été considéré comme un échec au box-office et n'a pas suscité l'enthousiasme de la critique. On a reproché à Brian de Palma de se référer de manière épigonale à Hitchcock, notamment à "Vertigo" et "Rear Window" (Fenêtre sur cour). Entre-temps, "Body Double", qui a également inspiré Bret Easton Ellis pour "American Psycho", est considéré comme un film culte. Le paysage urbain de Los Angeles, et en particulier Hollywood, devient un cabinet de miroirs du sexe et du voyeurisme. Rien n'est ce qu'il semble être, et Gloria, que le protagoniste Jake observe à travers un télescope dans son appartement, est brutalement assassinée par son ex-mari à l'aide d'une perceuse métallique de gros calibre. La plupart des critiques ont été scandalisés par ce "splatter movie bon marché", le trouvant de mauvais goût, vulgaire et violent.
Rétrospectivement, de Palma a déclaré : „Body Double was reviled when it came out. Reviled. It really hurt. I got slaughtered by the press right at the height of the women’s liberation movement. I thought it was completely unjustified. It was a suspense thriller, and I was always interested in finding new ways to kill people.“ ("Body Double a été abattu quand le film est sorti. Je me suis fait démolir. Cela m'a fait beaucoup de mal. J'ai été exécutée par la critique, c'était à l'apogée du mouvement féministe. J'ai trouvé cela très injuste. C'était un thriller passionnant et j'ai toujours été intéressé par la recherche de nouvelles façons de tuer les gens").
Avec d'élégants mouvements de caméra, de Palma crée une tension et a besoin de peu de dialogue pour parler du voyeurisme et de la violence à Hollywood. Le cinéma et l'industrie pornographique se révèlent être des tuyaux communicants qui ont plus en commun qu'il n'y paraît au premier regard.